
Le chef de la diplomatie à Antalya pour un forum sur un « monde fragmenté». Derrière ce titre institutionnel, une réalité bien plus vaste se dessine. Du 11 au 13 avril 2025, Mohamed Ali Nafti, ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, a pris part au 4e Forum diplomatique d’Antalya, sur instructions du Président Kaïs Saïed. Dans un monde où les repères s’effritent, où les alliances se brouillent, où l’Histoire s’écrit désormais à coups de rapports de force, ce type de rendez-vous ne relève plus du protocole. Il est devenu vital.
Le thème, «Restaurer la diplomatie dans un monde fragmenté», sonnait comme un aveu. Face à la guerre génocidaire menée par Israël en Palestine, à l’impuissance croissante des institutions internationales, aux défis que posent l’intelligence artificielle et la cybersécurité, les échanges ont cherché à donner un sens à ce chaos ambiant. En marge du forum, Nafti a multiplié les rencontres bilatérales avec ses homologues et avec des représentants onusiens et de l’Otan. Autant de dialogues ponctuels qui, s’ils sont bien menés, peuvent ouvrir des perspectives durables.
Car la Tunisie ne peut pas se permettre de regarder l’échiquier mondial de loin. Pour un pays sans puissance militaire dissuasive, sans pétrole ni gaz, mais doté d’une position géographique stratégique, d’une culture millénaire, d’un capital humain encore trop sous-exploité, il n’y a pas trente-six mille solutions. Il faut s’imposer dans l’arène internationale par la diplomatie, par l’intelligence, par la qualité de ses négociateurs, et par la diversification de ses partenariats. C’est une nécessité, pas un luxe. Dans ce monde fragmenté, la neutralité seule ne protège plus ; seule une stratégie active, souple, ancrée dans nos intérêts fondamentaux peut nous permettre d’exister.
Mais il faut aussi comprendre que cette projection extérieure ne peut tenir sans une colonne vertébrale solide à l’intérieur. Il nous faut une école digne de ce nom, une égalité réelle entre les femmes et les hommes, pas seulement sur le papier, mais dans les faits. Car lorsqu’une femme est traitée avec respect, elle élève une génération capable de porter haut le pays. Il faut défendre notre patrimoine, valoriser notre terroir. Que chaque Tunisien, sur la scène nationale ou à l’étranger, qu’il soit artiste, journaliste, animateur ou diplomate, incarne son pays avec la fierté d’un véritable ambassadeur, en portant un bijou, un accessoire, ou un fragment de notre histoire. Ce n’est pas du folklore, c’est une stratégie de soft power discrète, mais puissante.
D’autant plus que dans un contexte régional où l’identité est une richesse, certains regards se font parfois envieux. Notre cuisine, nos tissus, nos rythmes, nos mots. Tout cela est repris, adapté, revendiqué ailleurs. Est-ce un hasard ? Peut-être pas. Est-ce un danger ? Seulement si nous restons silencieux. Il ne s’agit pas d’accuser, encore moins de verser dans la paranoïa ou la confrontation. Mais il faut nommer les choses ; nos traditions ne sont pas des biens sans maître. Il est donc légitime et sain d’y tenir, de les faire vivre, de les affirmer avec fierté, sans agressivité mais sans naïveté non plus.
Car en matière de relations internationales, il n’y a ni frères ni amis, seulement des intérêts. Cela peut choquer, mais c’est la règle du jeu. Et les derniers événements sur la scène mondiale ne cessent de le prouver de manière brutale. Dans ce jeu, chacun avance ses pions, défend sa zone, protège ses récits. Et nous ? Nous devons faire de même. Nous avons la culture, l’intelligence et un peuple debout. Il ne manque qu’un souffle d’audace, un cap clair, et cette foi en nous-mêmes que nul ne pourra nous offrir à notre place.